Je ne pleure jamais devant les films, alors devant un spectacle, sans effets spéciaux, vous pensez bien que c’est pareil.
Voici « Les Chatouilles », écrit et interprété par Andréa Bescond et mis en scène par Eric Métayer. La petite fille dont ce seule en scène est inspiré, est devenue une femme, une artiste. Elle s’avance sur la scène de Beausobre. Elle porte une alliance. Elle commence son histoire : Il était une fois Odette, blondinette de huit ans, qui aimait danser. Un jour, alors qu’elle dessine dans sa chambre, Gilbert, un ami de ses parents, l’y rejoint, lui dit qu’elle est jolie, l’enferme à la salle de bain, la viole. Ce cauchemar se répétera durant plusieurs années, jusqu’à ce qu’Odette – ou Andréa ? – trouve en elle, et en elle seule, la force de se libérer de cette emprise.
Andréa Bescond, devenue danseuse puis comédienne, interprète avec brio tous les personnages de ce dialogue de sourds entre la colère d’Odette et la faiblesse de sa mère qui refuse de voir la souffrance de sa fille. Elle joue tour à tour la prof de danse – ses bourrelets comme du flan, son admiration pour Odette- , le père peu bavard, Manu le rappeur raté, les officiers de police, et même le bourreau, susurrant et sordide. Andréa Bescond livre les fantasmes de la jeune Odette, lorsqu’elle rêve que le danseur sur son poster, son idole et ami imaginaire, viendra la protéger contre Gilbert et ses « chatouilles ». Mais des sauveurs, il n’y en a que dans son imagination.
Pourtant, de toute cette noirceur, la victime tire un humour désarmant, qui déguise le poison en sirop à la menthe, plus digeste pour les spectateurs. Sommet d’ironie : l’extrait de « Like a virgin » (Madonna), qu’Odette écoute lorsque, en « pleine crise de préadolescence » selon sa mère, elle refuse de ranger sa chambre.
Indécent ? Mais, c’est son spectacle, et c’est son talent. C’est son cri de rage et si elle doit le partager en nous faisant rire, eh bien rions ! Ainsi, nous nous étranglerons moins devant l’atrocité, nous arriverons à regarder les chatouilles en entier, jusqu’au jugement du criminel et à la libération d’Odette.
« Les chatouilles » est un bouleversant récit de résilience, c’est une lutte à la vie à la mort entre la culpabilité comme étouffoir et la danse comme exutoire. Pour Odette, la vie l’emportera. Car si sa douleur n’est peut-être pas guérissable, elle est exprimable, comme le souligne le sous-titre du spectacle : « La danse de la colère ».
Et puis, dans les silences, on entend les autres enfants, ceux qui n’y survivent pas, à peine évoqués et qui pourtant hantent la scène comme les ombres d’Odette.
Je ne pleure jamais devant les films, alors devant un spectacle, sans effets spéciaux, vous pensez bien…
Céliane