« Authentique », par David Castello-Lopes, en tournée avec son double

Par Céliane De Luca - 25.10.2023

Avec son premier one-man-show, David Castello-Lopes propose une sorte de « tirade du nez » de l’authenticité. De la prétention à la mauvaise foi, nos hypocrisies sont listées, puis débusquées une par une. En chemin, notre professeur d’un soir nous fait rire avec des blagues qui n’en ont pas l’air, qui ne reposent souvent que sur un choix de mot fantaisiste. « Tilleul », par exemple. Ce nom a pour effet immédiat de nous plonger dans une tasse de tisane fade, mais associé à « Ta gueule », il devient savoureusement immature. « Ta gueule le tilleul », proteste David Castello-Lopes, parce que ce petit prétentieux d’arbre se croit au-dessus de la question de l’authenticité. Le tilleul ne s’interroge pas sur sa nature profonde, il est, c’est tout.

Eh bien, si vous avez vu « Authentique », vous savez qu’il a de la chance, le tilleul, parce que pour nous pauvres humains, l’authenticité semble aussi insaisissable qu’une truite frétillante. La tâche de trouver des gens vrais se révèle si difficile que David est à deux doigts de conclure son spectacle par l’argument suivant : les morts, eux, ne sont ni hypocrites ni pédants et donc, sont sacrément authentiques. Heureusement, et je ne vous en dirai pas plus, un retournement de situation et une photo de poissons en barquette plus tard, nous rigolons à nouveau parmi les vivants.

Pour faire naître ladite barquette et son couple de poissons dans l’esprit du public, David Castello-Lopes n’utilise ni son corps, pourtant prompt à onduler, plusieurs fois durant le spectacle, ni son texte pince-sans-rire. Non, il nous en montre une photo. Derrière lui, un écran géant illustre chacun de ses propos. Le plus souvent, c’est une vidéo d’un David Castello-Lopes sur fond noir qui vient en renfort au David Castello-Lopes scénique. Tandis que celui sur scène s’adresse à nous, pédagogue bienveillant, son alter ego danse, chante, est tantôt un David enfant ou adolescent, tantôt adulte. Le monsieur sur l’écran fait son cirque. Avec un regard impénétrable et une gestuelle hilarante, certes, mais il fait son cirque tout de même.

Les rôles s’inversent parfois, c’est ainsi en direct que nous entendons l’hymne portugais, fort bien chanté d’ailleurs. Et c’est tout de même le David scénique qui raconte le tilleul crâneur, imite son propre accent snob, interagit avec le public. C’est grâce à lui que le charme opère. Un doute me traverse alors : en avait-il vraiment besoin, de cet écran qui nous toise ?

À Beausobre, nous continuons d’avancer dans notre quête de vrai. Nous découvrons des trésors de « faire genre » et d’orgueil, parmi lesquels la carte de visite d’une prestigieuse université américaine que l’humoriste et journaliste avait raturée afin de continuer à distribuer la preuve de son mérité intellectuel supérieur… bien après avoir terminé son expérience universitaire.

Alors, à la vue de ce touchant bout de papier projeté sur un écran de plusieurs mètres carrés, je comprends. Bien sûr, David Castello-Lopes ne pavoise pas, puisque ce sont déhanchés ridicules et gros plans peu flatteurs qu’il nous montre. Mais je comprends, en voyant cet objet inédit pour moi devenir familier dès qu’il apparaît à l’écran sur fond de voix de David Castello-Lopes, qu’il ne s’agit pas de fausse modestie non plus : l’humoriste accepte vraiment d’être le plus petit des deux David.

Parce que ce Cyrano-ci n’est pas l’ombre d’un bellâtre aux vers plats, mais de son propre double, celui d’internet, celui qui chante « Je possède des thunes », celui de la chronique « Intéressant », sur Arte. Celui dont la chaîne YouTube cumule plus de dix millions de vues, sans compter les autres millions de vues pour sa rubrique vidéo « Suisse ? ». Qu’il le veuille ou non, avec ce premier spectacle, David Castello-Lopes sait qu’il doit jouer le rôle de son propre sosie. Et, au lieu de faire des blagues sur le fait qu’il nous offre le cadeau de sa présence ; il nous offre le cadeau de sa présence, mais nous réunit aussi avec la version de lui que nous connaissons et aimons déjà : celle de ses vidéos. Aussi paradoxal que ça soit, nous imposer son visage tantôt grimaçant, impassible ou béat, m’apparaît soudain comme le comble de l’humilité.