Hiver à Sokcho

Un hiver à Sokcho : un doux vent d’hiver poétique se dessine à l’orée du printemps

Par Zeina Takache - 22.03.2022

Le 8 mars dernier, une brise hivernale teintée de légèreté et de poésie s’est invitée sur la scène du théâtre de Beausobre aux prémices du printemps. Au travers du roman de l’auteure récompensée Élisa Shua Dusapin, Fugu Blues Productions, sous la direction artistique du jurassien Frank Semelet, signe une adaptation animée, originale et touchante en collaboration avec la romancière franco-sud-coréenne. Une proposition qui coïncide avec le milieu de saison entre l’hiver et le printemps, véritable illustration des principaux personnages de l’histoire.

S’envelopper dans le manteau de l’hiver et redécouvrir l’art d’un dévoilement de soi oublié

Corée du Sud. Sokcho. Ville portuaire. Hiver. Il aime Sokcho ainsi, sans artifices. Elle la préfère au printemps. C’est au travers des paroles de cette jeune femme que les pages écrites par Élisa Shua Dusapin dessinent l’histoire en filligrane.  Elle travaille à la pension Park. Il est dessinateur de bandes dessinées, lui, le voyageur français, égaré volontaire. Son caractère à elle s’inscrit dans la douceur des boutons de fleurs de cerisiers qui ne tarderont guère à fleurir, tandis que son tempérament à lui s’imprègne dans le bois travaillé par la réserve et la solitude d’un hiver sans fin. S’envelopper dans le manteau d’un hiver à Sokcho. C’est rejoindre une bulle suspendue hors du temps où la mer se confond dans la brume nuageuse du ciel hivernal. Un hiver dans lequel chacun ces deux protagonistes semblent à la recherche d’un idéal, d’un absolu, sans trouver le trait qui satisfasse leur dessein. Les héros se croisent, leurs corps et leurs paroles se frôlent, dans des échanges pudiques et subtiles, laissant aux spectateurs la liberté d’imaginer leur relation et ses soubresauts. À une époque où les prémices relationnels entre les hommes et les femmes peuvent manquer d’éloquence et de romantisme, un Hiver à Sokcho en redessine la douceur, les frémissements et la tendresse comme les bourgeons et le chant des oiseaux naissent à l’orée du printemps. Cette pièce nous rappelle l’art d’un dévoilement de soi aujourd’hui souvent oublié.

Une scénographie surprenante et originale  

Apposer les phrases courtes, efficaces et suggestives d’Élisa Shua Dusapin au médium du théâtre en co-discipline avec le médium visuel de la bande dessinée sur grand écran. Cela rend ainsi hommage au personnage masculin imaginé par la romancière et permet aux spectateurs de vivre l’histoire en temps réel. C’est une idée originale, prenante et séduisante. Le trait fin, simple et épuré du dessinateur jurassien Pitch Comment accompagne les comédiens Isabelle Caillat et Frank Semelet dans leur jeu d’acteurs et dans la progression de la pièce. C’est comme embrasser les mots tendres et poétiques de l’auteure pour les apposer dans les cases d’une bande dessinée hors de laquelle les protagonistes principaux s’extraient, afin de donner vie à cette dernière.

Une performance culinaire et métalleuse qui trashe la plume poétique et subtile de l’auteure

Le grand écran blanc où sont illustrés les dessins de l’artiste tombe. Il laisse alors place à une performance culinaire et métalleuse d’art contemporain loufoque où nous saluons le grunge et la contagieuse folie de la comédienne portée entre le chou et le fugu. Néanmoins, lorsque le regard du spectateur est déshabillé de cet écran, le charme poétique incarné tant par les comédiens que le dessinateur s’évapore. Nul n’est à en douter que cette performance contemporaine se serait inscrite judicieusement dans un texte originellement plus dynamique. Pour les amoureux de l’esprit poétique et romantique comme nous, cette coupure radicale incarne à notre sens une sortie immédiate et brutale de l’univers d’un Hiver à Sokcho.

Une fin abrupte

La fin alternative proposée dans cette adaptation du roman a retenu nos réticences. En brisant volontairement la douceur et la subtilité entretenues jusque dans les derniers mots du livre, l’issue de cette adaptation met à mal la douceur, la poésie et la délicate suggestivité de la plume de l’auteure. Il aurait été agréable de suivre le trait de Pitch Comment jusqu’au crépuscule des mots du roman, tant les images évoquées invitent à une rêverie éternelle où l’hiver se confond sans fin à Sokcho entre cette jeune femme et ce dessinateur de BD. Cette tombée de rideau nous laisse ainsi dubitatifs, avec le goût amer d’une fin abrupte et inachevée. Était-ce là l’idée d’illustrer sur scène une fable absolue ?

Un mot sur Fugu Blues Productions

Fugu Blues Productions est une compagnie théâtrale jurassienne pluridisciplinaire qui souhaite mettre en lumière des artistes jurassiens au sein des frontières de la République et Canton du Jura, ainsi que par-delà ses horizons (comedien.ch).