Le Cercle des poètes disparus

Par Céliane De Luca - 13.02.2025

Spoiler : cette chronique dévoile la fin de la pièce.

Lorsque le professeur de littérature John Keating arrive à l’académie Welton, il y découvre des étudiants confinés dans leurs études strictes, promis à un avenir aussi brillant que rigoureux. Lui-même ancien pensionnaire de l’école, il saisit sa chance de fissurer les quatre murs de sa classe. Carpe Diem, pensez par vous-mêmes, exprimez-vous. À la lueur de leur recueil de poésie, les jeunes hommes se découvrent capables de téléphoner à leur muse, de se donner un nouveau nom (Nuwanda, jugé plus viril que Charlie), de défier l’autorité paternelle pour jouer dans une pièce de Shakespeare.

Nous sommes en 1959 et les garçons sont impatients de jaillir hors d’un système qui a dicté à l’ancienne génération ses ambitions et ses peurs. Mais le système, lui, n’en a pas fini avec eux, et de punitions en menaces, d’invitations à temporiser en interdiction formelle de résister, il rabat le jeune Neil Perry, vers des tréfonds froids. L’élève doué, l’ami sensible se suicide.

Ses camarades signent alors à contrecœur la lettre de licenciement de Keating, accusé d’avoir attisé des désirs irréalistes dans leurs esprits impressionnables.

Au terme du film Le Cercle des poètes disparus, tiré du roman éponyme, j’avais mes coupables : ceux qui prétendent, pour sauver l’homme, devoir faire disparaître les poètes. J’étais triste, mais prête à commencer à cueillir le jour présent dès la fin du film, pas intacte, mais innocente. À Beausobre, être confrontée à l’éclosion puis la mort d’un adolescent a pour moi revêtu cette histoire d’une signification nouvelle : la puissance de la pièce venait du fait qu’elle ne nous laisse pas le choix de mettre en œuvre son message avant même d’avoir quitté nos fauteuils.

Neil vient de jouer dans Le Songe d’une nuit d’été, son père d’exiger qu’il ne recommence jamais. Neil est seul, haletant. Le film est célèbre, la tension indéniable ; nous sommes nombreux à savoir que nous sommes à quelques secondes d’une tragédie.

Une ampoule se balance au bout d’un long fil. Elle fait apparaître et disparaître l’adolescent égaré. Elle nous laisse le temps d’intervenir, de dire que, Neil Perry étant un personnage de fiction, il ne peut pas mourir. Le comédien qui apparaît et s’efface me semble soudain être un code Morse. Je n’interromps pas ce moment que je supporte pourtant difficilement. Pire, je retiens activement mes sanglots ; il s’agirait de ne pas mugir dans une salle comble. Entre l’écran et moi le fossé avait été infranchissable. La pièce honore la confiance que nous lui accordons. Nous vivons pleinement ce moment parce que, comme le Cercle des poètes disparus, nous le partageons non seulement avec l’œuvre, mais aussi les uns avec les autres. C’est là que se niche notre pouvoir, dans notre désir d’oser ressentir la douleur de cette scène aussi parce que nous respectons celle des autres.

Neil porte sa main à sa tempe, comme un pistolet. Déflagration, nuit.

Après son licenciement, Keating revient chercher quelques affaires en classe. C’est la dernière scène du film, et le dernier tableau de la pièce. Alors, un par un, ses élèves escaladent leurs bureaux, et vouent allégeance à leur capitaine. Eux résolus, nous triomphants, nous applaudissons et poussons des cris de joie. Debout sur nos bureaux imaginaires, nous essuyons les larmes qui grelottent encore sur nos pommettes. Et puis nous pleurons de plus belle, reconnaissants de pouvoir enfin rendre au Cercle des poètes disparus un peu de ce qu’il nous a apporté.

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