Calypso

Par Céliane de Luca - 12.01.2018

Cher Théâtre de Beausobre, la prochaine fois que vous inviterez Calypso Rose sur votre scène, je vous saurai gré de mettre des panneaux d’avertissement : spectacle irrésistiblement dansant. Et prière d’en placarder du sol au plafond. Parce que, vraiment, c’était une torture.
La voix enjouée, vêtue du costume le plus pailleté que j’aie eu la chance de voir miroiter, (le groupe ABBA mis à part, mais c’était en vidéo donc ça ne compte pas vraiment, et puis ne changeons pas de latitude et revenons à la prestation de la star trinidadienne) Calypso Rose a commencé son concert endiablé.

Croyez-moi, nous faisions tous les efforts du monde pour rester immobiles, seulement, les têtes dodelinaient quand même, les épaules des plus téméraires aussi. Mais à l’exception d’un petit groupe de joyeux rebelles, le public bienséant est resté assis presque la moitié du concert, quand les rythmes lui intimaient de danser jusqu’à l’aube. Dans mon fauteuil et ma robe mouchetée prête à onduler, j’attrapais moi aussi, toutes oreilles dehors, la moindre occasion de me trémousser.

Calypso Rose est devenue chanteuse professionnelle bien avant la naissance de mes parents. Les personnes « trop » âgées vivent, je crois, chargées d’aprioris et semblent surprendre dès qu’elles s’en écartent un tant soit peu. Aussi énergique soit-elle, Calypso Rose n’a pas réussi à s’en émanciper totalement, de ce « Et dire qu’elle a bientôt huitante ans! ». D’ailleurs, pour être tout à fait franche, plusieurs d’entre nous n’auraient peut-être pas été aussi tentés de venir si la chanteuse avait été une fringante trentenaire. Le contraste entre sa musique carnavalesque et son grand âge avait fait figure d’argument marketing très convaincant. Son mouvement du bassin ou des fesses ne pouvait alors que sembler un peu comique, ce dont elle ne se cachait d’ailleurs pas. Si son intention avait été de charmer « pour de vrai », les rires bon enfant du public l’auraient bien vite ramenée à sa condition de grand-maman de la salle.

Et une grand-maman, ça raconte des histoires, ça chante, ça émeut (par exemple avec le simple et libérateur « No Madame »), ça nous fait rire comme des enfants, mais c’est bien connu : ce n’est pas censé être sexy. Et pourtant, bien que plus fragile, la reine de la nuit est apparue aussi vivante que n’importe quelle jeunette. On la sentait prête à vivre encore au moins un siècle sous le soleil des projecteurs.
Généreuse, Calypso Rose a distribué ses CDs aux enfants de l’assistance comme des bonbons. Mais son plus beau geste a été la liberté qu’elle a accordée à ses musiciens et à ses deux choristes. Liberté de porter des vêtements désassortis et de danser, le plus souvent, selon leur envie. Fi des faire-valoir robotiques, les rôles secondaires de ce concert ont aussi eu droit à un vrai moment de gloire, le temps que Calypso Rose se repose (ou continue à danser, qui sait…) en coulisse. Avant de revenir de plus belle et, enfin, de faire se lever un public qui n’attendait que cela.

Puis il s’est fait tard, alors notre marraine la bonne fée s’est éclipsée tandis que le public fredonnait son nom, jusqu’à ce qu’elle disparaisse, tout sourire et à reculons, derrière le rideau. « C’est comme une berceuse », s’est émerveillé mon amie. Il faut croire que c’était au tour du public de border à son tour son exceptionnelle grand-maman.