Le lobby de la flûte, parlons-en. Apprendre à en jouer ne sert à rien, surtout pas à plaire aux filles, et pourtant, une quantité folle d’écoliers et écolières français ont dû s’y coller. Si l’on en croit le one-man-show de Philippe Lellouche, voler une opportunité à un garçon des années huitante de draguer, c’est très mal. Car, entre aveux candides de cocu et blagues franches de copain, Lellouche « profite d’être en Suisse pour dénoncer des trucs ». Dont l’omniprésence des leçons de flûte en France, donc. Plus le sujet est insignifiant, plus les tapages du pied de ce presque sexagénaire sont drôles. L’élan infini qu’il faut pour embrasser une fille (encore) lors d’un slow ? « J’avais l’impression de partir au Gabon ! ». Il s’exprime de si bon cœur, avec une diction si bien choisie ; la salle exulte.
Le résumé du spectacle promettait un moment au creux des souvenirs du comédien, un premier one-man-show « qui réconforte les cœurs et transporte ses auditeurs dans l’heureuse nostalgie de l’enfance ». Mises bout à bout, ses blagues bonhommes créent toutefois une guirlande un peu poussiéreuse d’avoir égayé trop de réveillons. Philippe Lellouche s’offusque, sur le ton de l’humour évidemment, que les personnes transgenres aient le droit d’exister, et que lui ne puisse pas s’autodéterminer comme étant un homme de 28 ans. Il ne développe pas ; l’effet comique est censé venir uniquement du parallèle entre les personnes transgenres et lui, à qui la société refuse son statut de trans-âge. Oh et les vélos aussi, ça l’énerve, quand il est dans sa voiture. Et Brad Pitt est très beau, apprend-on. Un humoriste qui piaffe, c’est souvent amusant, mais encore faut-il piaffer avec inventivité. Que celui qui n’avait jamais, avant cette soirée, songé que les vélos peuvent agacer les automobilistes, lui offre le premier rire.
Mais pas de mauvaise foi : je n’étais pas le public cible. La coloscopie de routine n’attend pas mon mari de si tôt et je ne suis pas d’avis que « les féministes », sans distinction, sont avant tout irritantes et incohérentes. Il me semble presque que son spectacle aurait raté son coup s’il n’avait pas fait une lettreuse végétarienne lever les yeux au ciel.
Lorsque mes pupilles redescendaient finalement au niveau de la scène, je voyais émerger un homme qui, plutôt que les années, a décidé de compter les mois d’août qu’il lui reste à vivre. Je voyais la tendresse promise. Pas pour les flûtes ou pour les féministes, mais pour les étés entre amis, pour son père décédé il y a plusieurs années et qu’il espère avoir rendu fier parce qu’il se tient devant nous ce soir. Du mois d’août, des pères aimants, des rêves des adolescents des années huitante, de cela aussi, parlons-en.