Quand la réalité trébuche sur scène
Tout commence par une fin. Rideau baissé, les comédiens saluent. Stéphane de Groodt dépose les armes (respectivement sa veste de costume), cherche ses clés de scooter pour filer voir sa mère qui l’attend. Mais voilà, les autres acteurs restent. Le public aussi. « On doit jouer la pièce Stéphane », insistent-ils. Et malgré lui, Stéphane cède, juste pour cinq minutes alors. Cinq minutes qui s’étireront bien plus longtemps, jusqu’à faire vaciller les frontières entre fiction et réalité.
Le théâtre dans le théâtre ? Difficile de savoir où commence le spectacle et où finit la vie. Stéphane, entre deux mondes, martèle dans la pièce qu’il est « mort », questionnant tous les personnages sur sa santé et leur propre existence dans cette pièce « mise en abyme » qui s’étire encore et encore, tant et si bien que, nous non plus, ne distinguons plus très bien notre place ici. Les techniciens dépouillent la scène sous nos yeux, retirant une lampe ici, une commode là, jusqu’aux verres de vin autour de comédiens acharnés et d’un Stéphane très en retard pour sa maman. Le décor s’effrite, mais le jeu persiste, imperturbable. Un pied dans le réel, l’autre dans la fiction, Un léger doute joue brillamment avec les perceptions, nous laissant dans un délicieux vertige.
Stéphane de Groodt s’amuse à brouiller les pistes avec un humour grinçant et une absurdité maîtrisée. La mise en scène de Jérémie Lippmann accentue cette impression de chaos ordonné, où tout semble s’effondrer avec élégance. Le casting, composé des talents de Pascal Demolon, Constance Dollé et Anne Benoît en plus de ce cher Stéphane, offre une interprétation précise, jouant avec brio sur la frontière entre les personnages et eux-mêmes. Mention spéciale à Anne Benoît, dont les répliques pleines de naïveté confèrent une fraîcheur irrésistible à ce kaléidoscope théâtral.
Et si c’était nous ? La grande question, celle qui hante toute la pièce, reste en suspens : existe-t-on vraiment, en tant que public, en tant que personne, dans ce présent chancelant ? De Groodt, avec un sourire en coin, nous pousse à douter. Spectateurs ou acteurs, vivants ou personnages, la frontière est mince, et dans cet univers farfelu, peut-être n’est-ce qu’un léger doute qui nous sépare.
En bref, Un léger doute est un ovni théâtral aussi audacieux que réjouissant, taillé pour les amateurs de comédies absurdes et d’existentialisme revisité. Une expérience singulière où l’on rit autant qu’on réfléchit… avec, en prime, la sensation de s’être égaré dans un labyrinthe absurde, et d’y avoir pris un plaisir non dissimulé.