Cie 3e étage

Par Sabine Regenass - 28.11.2018

Des dérèglements envoûtants

Dimanche en fin d’après-midi à Morges, les plus talentueux solistes et étoiles de l’Opéra de Paris ont déréglé le public ébahi de Beausobre. Menés par l’enfant-terrible François Alu fixé à des ressorts, ce furent 100 minutes d’envoutement total.

Après Désordres, Samuel Murez dérègle, détourne, démembre, décrypte et déroute les codes et le monde fermé de la danse classique. Le tout avec une maîtrise parfaite de la technique.

La scène s’ouvre sur un trio qui semble répéter ses pas de 3, un peu à la manière des coqs dans un poulailler cherchant à impressionner la jeune et jolie danseuse qu’ils malmènent quelque peu dans leurs portés. D’entrée de jeu, pour celles et ceux qui ne connaissaient pas la maison, on cerne ce qui va nous tomber dessus. La danse classique ne se résume pas à des jeunes filles en tutu sur pointes et des éphèbes en collants moulants, elle peut aussi faire rire et savoir en rire.

Ce fut le deuxième tableau qui me captiva particulièrement. Un personnage singulier, inquiétant mais attachant, sorti tout droit d’un film de Tim Burton, nous plonge dans un univers à la fois fascinant et déroutant. Aussi romantique que cruel, intense et violent, ce maître de cérémonie burtonnien malmène, tord/ture avec cynisme ses deux danseurs à l’histoire d’amour passionnée et passionnelle dont je tairai la fin. Une interprétation à couper le souffle sans parler de la technique irréprochable des trois danseurs.

Pour la seconde partie, on repart sur du plus léger comme la revisite du plus fameux quadrille du Lac des cygnes, en passant par des cours de danse tournés en dérision qui nous permettent d’arriver au même constat : nous avons tous souffert des mêmes remarques quelque peu désobligeantes de nos professeurs de danse, qui ont leur comptage de pas bien à eux. 5, 6, 7 eeeet 8 ! On en profite aussi pour un peu d’introspection et de réflexion avec un pas de deux splendide, interrompu par une constatation virtuelle, this piece is boring, it serves no purposes. Mais l’art doit il vraiment avoir un but… ?

Sans oublier l’apothéose avec l’interprétation ô combien virtuose des Bourgeois de Brel par François Alu. Fan inconditionnelle de Béjart qui a donné ses lettres de noblesse à Brel et Barbara, je l’attendais au tournant, si l’on peut dire. Il fut difficile de ne pas faire une standing ovation à Monsieur Alu dès le dernier « con ».

S’adressant aussi bien aux afficionados qu’aux novices, cette compagnie et leur(s) spectacle(s) sont, à mon sens, le meilleur moyen pour faire découvrir la danse classique aux quelques réticents en leur montrant qu’un ballet peut  être drôle, captivant et nous transporter dans un univers fantastique. Ce n’est pas facile de faire preuve d’autodérision, sans tomber dans la moquerie facile et gratuite, le tout avec décontraction, élégance et intensité. On y retrouve ici le mélange absolument unique d’excellence et d’humour, de technique et d’inventivité, de classicisme et de modernité qui fait la marque de fabrique de 3e étage