Une histoire d’amour sobre comme la douleur

Par Céliane De Luca - 21.12.2021

Grossesse, cancer, enfant surdouée et alcoolisme valsent sur une chanson d’Adèle et sur, non pas une, mais deux versions de Falling in Love with you. Surviennent encore un accident de voiture et l’union des « amoureuses de la forêt cosmique ». Une Histoire d’amour, d’Alexis Michalik, est un nuancier de toutes les teintes du pathos, présenté à nos cœurs. J’ai eu les larmes aux yeux, et le sourire mouillé de l’héroïne d’une pub pour une assurance-vie. Mais de m’émouvoir, justement, une publicité sucrée en est capable. La prouesse de Michalik est d’avoir donné pour noyau à cette dragée, qui fond et qui craque, une vérité sobre comme une amande.

Une histoire d’amour suit ses personnages pendant quinze ans, à partir du coup de foudre de Justine et Katia. La première est une jeune femme meurtrie, farouche car elle se sait peut-être porteuse de la maladie dont a été victime sa mère. La joie semble plus facile pour son adorée, Justine, mais la fuite l’est aussi. Parent adoptif malgré lui, le frère de Katia entre en scène pour s’occuper de sa nièce de douze ans. Malheureux, drôle et charismatique, il pansera ses plaies, et celles du public, avec son humour. Alexis Michalik, qui avait lui-même interprété ce rôle en 2020, colle à plusieurs reprises l’anecdotique et le solennel dans des phrases qui se veulent démineuses de clichés. Peut-être, craignant le mélodrame, Michalik a-t-il préféré une occasionnelle lourdeur. Je la lui pardonne vite, soulagée de rire si souvent devant un récit si triste.

Sa mise en scène translucide a déjà été éprouvée dans de ses précédentes pièces et plusieurs fois récompensée aux Molières. Ainsi, lorsque Katia tombe enceinte, elle soulève son t-shirt pour qu’un assistant lui attache un ventre de plastique autour de la taille. Le t-shirt retombe et, oh, elle est enceinte ! Ma crédulité naturelle est ravie, pour une fois, elle a le droit de prendre le mirage pour l’oasis. Les acteurs sont polymorphes, le frère écrivain se redresse, devient médecin, puis s’avachit à nouveau en auteur désabusé. Le décor aussi va et vient de l’ombre à la lumière sans se cacher dans les coulisses. L’attente des meubles rythme les scènes parce qu’ils portent en creux leur réveil prochain. Le lit est remisé dans l’ombre, certes, mais je sais que, dans un lit, on fait l’amour et on meurt. Deux choses qui risquent d’arriver avant la fin de la pièce.

Car il y a encore un drame, le moins funeste et pourtant le moteur de l’histoire. Dans sa note d’intention, Son auteur avait promis de raconter l’amour « en se concentrant sur sa fin ». Voici l’impensable réalité : quelqu’un qui nous aimait peut soudain se détourner de nous. Le canapé n’est plus tiédi que par le spectre de ses futurs utilisateurs, qui s’y assiéront à la prochaine scène ; il brûle là où l’amoureuse était allongée la veille encore. Katia subit la transformation de la plus belle chose de sa vie… en plus beaux souvenirs de sa vie. Elle n’avait rien demandé, quel couple voudrait des souvenirs quand il croyait avoir des projets ? Elle erre entre sa rupture nette et la relation encore insoutenablement vive, elle aussi. Katia peut se blottir dans Falling in love with you, elle peut se briser avec la voix d’Adèle, mais la douleur en son centre, elle, reste droite. Elle tend la pièce comme une crampe, entre peine et bonheur.