Dix ans après son dernier one-woman show, Valérie Lemercier revient sur scène, sans titre, mais pas sans panache. Elle entre en dansant sur À la file indienne, un sourire malicieux accroché aux lèvres, comme pour nous dire : “Allez, on y retourne.”
La salle a hâte de retrouver cette grande dame de l’humour français, que j’associe davantage au cinéma qu’à la scène.
Très vite, on retrouve son goût du décalage et son art de la caricature fine. Elle ouvre le bal en campant une agricultrice normande qui lance : « On a tout dit pis on a rien dit. » Derrière le burlesque, elle aborde des thèmes durs comme la mort, la violence, l’inceste, la sexualité, sans verser dans la vulgarité. C’est sans doute là que réside tout son talent : faire rire du tragique, avec un mélange de naïveté et de dérision.
Le spectacle déroule une galerie ciselée de personnages : une voisine hypersensible obsédée par son compost et persuadée d’être victime de “harcèlement mitoyen”, un sommelier exalté vantant les artisans de son bistrot “en famille !” et vendant ses serviettes de lin au mètre, le vieux Jean-Louis de Nice qui fait ses stories live du samedi avec Catherine Deneuve, une fillette accro aux tutos maquillage et dont le but ultime est de dépenser ses sous chez Sephora, ou encore un autiste de 35 ans doué pour les cocktails.
Tous ont en commun d’être un peu seuls, un peu fêlés et profondément humains, en somme. Une société en morceaux, drôle et tragique à la fois.
Et bien sûr, ce que j’ai vu comme un clin d’œil à la bourgeoise des Visiteurs : une mère dépassée par ses enfants aux prénoms si chics, Anne-Framboise, Anne-Sixtine, à qui elle lance : « C’est une porcherie cinq étoiles ! » avant d’ajouter : « C’est pas en bouffant du Galak en regardant YouTube qu’on va se retrouver sur un billet de 50 balles. » On retrouve ici tout ce qu’on aime chez Lemercier : l’absurde élégant, l’humour ciselé, le ton faussement naïf.
Pourtant, malgré la virtuosité du jeu et la précision de l’écriture, il m’a manqué un fil rouge. Les saynètes s’enchaînent, souvent drôles, parfois déroutantes, mais sans véritable liant. On passe d’un univers à l’autre, comme sur un fil Instagram où chaque “reel” serait un nouveau personnage. Mais avec son entrée sur Instagram cet été, peut-être est-ce l’effet escompté. J’aurais aimé qu’elle nous attrape davantage, qu’elle brise parfois le quatrième mur, qu’elle nous parle un peu, simplement. Ici, elle reste du côté du théâtre plus que du stand-up, brillante, mais distante.
Elle clôt la soirée avec une professeure de danse, acide et terriblement réaliste. Une fin abrupte, inattendue, où elle lâche cette dernière phrase : « Entrepôt de bourriques ! » comme un coup de sifflet final. Est-ce qu’elle s’adresse à nous ?
Alors oui, le spectacle est ciselé, parfois un peu trop. Valérie Lemercier mêle le grivois, le sordide et le trash avec élégance, sans jamais basculer dans la vulgarité.
S’il existe un fil rouge, il tient sans doute dans le regard qu’elle porte sur le monde : une mosaïque d’êtres cabossés, de solitudes modernes, une humanité qu’elle peint à la loupe, sans jamais la juger.